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Indépendance journalistique dans le jeu vidéo : un mythe ?

Il y a de cela un an et demi, le 17 novembre 2022, c’est le cœur lourd que la rédaction de Gamekult annonçait en vidéo leur départ suite au rachat du site par Reworld. A titre personnel, ce fut un véritable choc. Gamekult représentait une certaine éthique du journalisme : un modèle unique, pour un site qui était un véritable ovni dans le milieu de la presse vidéoludique. Un refus de toute connivence avec les éditeurs, un respect envers les développeurs de jeux vidéo mais aussi les pigistes et toute l’équipe de la “rédaction élargie”. On sait que, quand on soutenait ce site, on valorisait un travail qui n’allait sans doute pas dans le sens de l’Histoire.

Mais que défendait Gamekult à cette époque? Quel est l’état de la presse actuellement? Qu’est ce qui nous a amené là aujourd’hui? Nous allons donc revenir sur tout cela, mais aussi toutes les notions qui se cachent derrière cette indépendance et ce que les études peuvent nous apprendre sur ce sujet.



  1. Historique de la presse spécialisée : 


  1. La presse papier


Commençons par un état des lieux de la presse vidéoludique en France. Sa naissance remonte aux années 80, avec des magazines comme L’ordinateur individuel ou Jeux & stratégies. Mais le  jeux vidéo (JV) y restait très peu présent et était souvent décrié. L’année 1982 est marquée par la naissance de Tilt, inspiré du magazine américain Electronic games. Ce premier numéro, bimestriel, est paru en septembre et, en le feuilletant, on pouvait tomber sur des articles concernant les jeux à cristaux liquides, comme les Game & Watch, des jeux pour calculatrices ou Intellivision, mais aussi des publicités pour le Pacman d’ Atari (sachant qu’un article y est aussi dédié dans ce numéro), pour du tabac ou même du champagne! Dans ses pages, Tilt établit la base des futurs magazines (news, previews, critiques) et fait les premiers tests de jeux. Cela se résume à vérifier l'exécution d’un programme, expliquer son fonctionnement et distiller ça et là son avis mais de manière très succincte. On décrit surtout la proposition ludique de chaque jeu. A la fin, le test (ici appelé Tube) se conclut par une notation selon les critères d’ intérêt, de graphisme, de fiabilité et en indiquant le type et la durée du jeu. Ce sera un énorme succès, avec 50.000 ventes dès 1984, un chiffre qui laisserait rêveur les magazines d’ aujourd’hui.



La crise du JV en occident arrive dès 1983, et est marquée par la chute d’ Atari et du jeu sur console. C’est dans ce contexte que de nouveaux magazines vont naître, avec Génération 4 et Joystick. Ce dernier est aujourd'hui bien connu des passionnés de JV et son nom est encore cité par bon nombre de joueur.euses et lecteurs de l'époque.

Mais le premier a laissé une empreinte encore plus visible aujourd’hui, en posant les bases du test moderne. En effet, ils n’ont pas inventé le système de notation, déjà présent sur Tilt, mais le magazine va structurer ses évaluations et être plus critique avec les jeux. Ainsi, il ne se limite pas à une simple description mais dédie une partie entière du magazine à ces fameux tests, dont les lecteurs sont de plus en plus friands. Le premier numéro présente ainsi tout un tas de jeux, sur micro ordinateurs comme sur les premières consoles de salon. On a ainsi un texte, présentant le jeu et l’avis de l’auteur, accompagné d’un cadre notant selon trois critères : graphismes, sonorité et intérêt, avec une note sur 100. Ce carcan, très scolaire, va être la base pour des décennies de tests dans le JV en France.


On retrouve cependant les mêmes écueils que chez Tilt, avec des publicités pour des éditeurs dont les jeux sont évalués dans le même numéro, au milieu d'illustrations au goût plus que douteux… Ils vont également proposer bien plus de pages, quitte à être moins en accord avec la loi en faisant travailler leurs employés en dehors des horaires légaux (à l’inverse de Tilt, tenue par une grosse maison d’édition et qui respectait bien plus les heures des employés). Ceci s’explique par la présence dans ces nouvelles rédactions d'amateurs et de “passionnés”; terme qui va revenir régulièrement pour soutenir des pratiques douteuses. Ces derniers étaient recrutés autant sur leur niveau manette en main, que sur le hasard ou leur capacité à cracker des jeux (on partait du principe que cette population jouait et testait énormément de titres et donc qu' elle savait les critiquer). Le début des années 90 est cependant marqué par un constat : tous ces magazines traitent en effet du jeu vidéo, mais très peu des consoles, encore très mal vues par ce public à l’époque. Ce trou sera comblé par Player one (financé par Amstrad), Console + (petit frère console de Tilt) et Joypad (petit frère console de Joystick).


Mais quel était à l’époque le lien entre cette presse et l’industrie dont elle parle? Alain Huyghues-Lacour (AHL) est sans doute LA figure du journalisme JV papier. Il fait partie de ces pionniers ayant fait son nom dans Tilt, avant de rejoindre Joystick comme rédacteur en chef, puis Console + où il finira sa carrière.En tant que rédacteur en chef, il explique qu’il n’arrivait pas à avoir de la pub hors JV, à son grand regret:  


“ L’éternel problème, c’est celui de la publicité venue de sociétés extérieures au jeu vidéo : Coca, Nike, etc., qu’on n’arrivait pas à avoir dans nos pages. Si j’avais pu me débarrasser de nos annonceurs jeux vidéo – c’était impossible, c’était la moitié des revenus –, les notes n’auraient pas été du niveau où elles étaient”. 


Il avait ainsi conscience de ses limites en termes de liberté éditoriale, ne pouvant pas faire d’articles plus incisifs. L’envoi de JV aux magazines par les éditeurs commençaient petit à petit et ces derniers voulaient avoir de plus en plus d’emprise sur cette nouvelle presse émergente. AHL, encore lui, raconte qu’un jour certains éditeurs, comme EA ou Océan, ont convoqué les chefs de rédaction des différentes revues. Ces derniers les ont menacé de couper les budgets pub s' ils ne stoppaient pas leur traitement des jeux japonais, qui étaient en plein boom à cette époque. De ses dires, certains ont accepté mais ce ne fut pas le cas pour lui. Petite anecdote : il s'agit du même Ocean qui, quelques années plus tard, deviendra maître dans le chantage à la couverture et à la publicité, tout en inondant les rédactions de voyages de presse généreusement financés. Douglas Alves, historien du JV, rappelle ainsi que la presse française avait un rapport particulier avec les éditeurs. En effet, elle constituait un vrai contre pouvoir, à l’inverse du Japon ou de l'Angleterre. Les éditeurs avaient conscience que cette presse était désormais lue et qu’un lien privilégié s’était établi entre les rédacteur.trices et leurs lecteurs. Ces derniers lisaient donc les magazines afin d'y dénicher leurs prochains jeux. Les éditeurs vont donc tout faire pour conserver de bonnes relations avec cette presse. A noter enfin que, derrière ces magazines, se trouvaient parfois des magasins et grossistes en informatiques (Micro vidéo pour Gen4 par exemple), mais aussi des entrepreneurs très éloignés du média et qui flairaient le bon coup (Marc Andersen qui travaillait dans les magazines de mairies à la base).

Le début des années 90 est enfin marqué par la création de filiales françaises pour Nintendo et Sega, ce qui facilitera la communication de ces constructeurs  sur notre territoire, que ça soit avec le grand public, ou avec les rédactions. Ce rapprochement va se concrétiser avec la naissance de magazines totalement dédiés à un constructeur. Le premier a été créé par AHL en 1991, alors rédacteur en chef de Joystick : Mega Force, dédié à SEGA, tandis que Nintendo va lancer SuperPower. Ironie de l’histoire : dès 1992, les 2 magazines partageront le même rédacteur en chef, qui écrira sous différents pseudonymes afin d’alimenter la “guerre des consoles” et booster les ventes des deux entités.


Les années de 1995 à 2001 sont marquées par l’âge d’or de cette presse spécialisée. On voit se poursuivre la mode des magazines intégralement dédiés à un constructeur. Le boom de ces derniers viendra avec Playstation magazine, créé en 1995, et qui aura, dans chaque mensuel, un CD ou un DVD de démos, jouables ou non. Cela viendra indéniablement booster leurs ventes. Il est quand même important de savoir que le lien entre ces magazines “officiels” et les constructeurs, déjà très étroit, diminuera encore un peu plus avec ces offres, limitant toujours plus l’indépendance et la liberté éditoriale des rédactions…

Cette période est aussi marquée par une augmentation nette des salaires des journalistes et une professionnalisation toujours plus grande des rédacteur.trices. Dans cette voie, en 1998, Console + décide de faire son autocritique en étant désormais plus rigoureux, avec des notes plus sévères. On promet ainsi qu’un jeu noté entre 80 et 84% sera désormais considéré comme “moyen”. Joypad suivra le mouvement en 1999, puis Joystick, quelques années plus tard.


Suite à ce boom, le début des années 2000 sera marqué par un changement dans la relation avec l’industrie du jeu vidéo, avec plusieurs événements. Le plus important est expliqué par Grégoire Hellot. Il s’agit du moment où “des gens en cravate ont racheté des jeunes déconneurs”. En effet, l’industrie de la presse JV commence à peser avec ses 150 000 exemplaires par magazines, et certains veulent leur part du gâteau. Les détenteurs de ces revues vont vouloir une croissance toujours plus grande. Pour se faire, ils vont adopter une stratégie de concentration éditoriale. Ainsi, Jeux vidéo magazine, Jeux PC, Console +, Joystick et Joypad sont rachetés par Future France, ce qui va conduire à une uniformisation des formats. Parallèlement à ses rachats, il y aura une saturation du marché avec un nombre de titres "différents" toujours plus grand. Future France deviendra plus tard Yellow Media, qui sera racheté par MER7 avant de faire faillite, signant la fin de toutes les revues qu’il détenait, et la mort de la presse JV spécialisée. 

Parallèlement, les industriels vont prendre le pas sur les journalistes. Les notes de ces derniers ne deviennent plus indispensables pour vendre un jeu et l’afficher dans les rayons (notamment avec la démocratisation post Playstation du médium). Les éditeurs vont ainsi imposer leur calendrier de sortie, dictant par la même le timing de sortie des articles et le traitement des JV. Avec la limite imposée par un mensuel, tout ceci va limiter la marge de manœuvre des journalistes, n’ayant plus à négocier que les couvertures ou démo, d’après Stéphane Lavoisard, directeur des rédactions à Pressimages. Si on associe ce phénomène avec la concentration des revues aux mains d’une même maison d’édition, on se retrouve avec tout un groupe qui ne peut plus se passer des rentrées publicitaires d’un gros éditeur de jeu. Tout ceci en sachant que leur budget publicitaire est limité et se divise alors entre la presse papier et la presse informatique qui est en plein boom… Il faudra donc éviter le plus possible de brusquer un éditeur, sous peine d’en subir la sanction. William Andureau se fera par exemple licencier pour avoir critiqué un jeu.

Dans le même temps, le lien privilégié avec les développeurs va disparaître. Wanda, chez Joystick, rapporte qu’elle ne pouvait plus aller chez Arkane pour discuter avec ses amies, sans être passé par les organes officiels de communication. L'accès direct aux développeurs est désormais devenu impossible...


Concentration et saturation du marché, faillite des grands groupes de presse, dépendance toujours plus grande à l'industrie du JV, pression de cette dernière et perte du lien avec les petites mains faisant nos jeux, autant de facteurs qui expliquent la disparition de la presse papier, écrasée par la montée en parallèle d'une presse émergente sur le net.



2. La presse spécialisée sur internet


La démocratisation d’internet va avoir comme conséquence la naissance de tout un tas de site et la migration de cette presse vers ce nouveau médium. Jusque là, les informations étaient fournies aux magazines par les éditeurs, qui les publiaient quelques semaines après dans leur mensuel. Désormais, ce délai n'existe plus et les lecteurs vont avoir accès aux aux informations sans avoir à attendre le numéro du mois prochain. Ce tournant ne se fera pas (ou presque) pour tous les journaux, qui disparaîtront les uns après les autres dans les années 2000… Certains sites vont émerger, comme Jeuxvideo.com en 1997, Gamekult en 2000 ou encore Gameblog en 2007. D’autres rédactions décideront cependant de rester au format papier mais en créant leur propre ligne éditoriale. C’est le cas de Canard PC ou de JV mag.


Jeuxvideo.com, connu aujourd’hui sous le nom de JVC, a été créé en 1997, sous la houlette de Sébastien Pissavy. Ce dernier a d’abord créé l’ ETAJV (Encyclopédie des Trucs et Astuces du Jeu Vidéo), un dossier participatif regroupant tout un tas de conseils pour les joueur.euses. D’abord disponible uniquement en disquettes, il finit par atterrir sur nos bons vieux minitels. Fort de ce succès, le jeune homme crée, avec ses amis, la société L’Odyssée Interactive, qui va éditer le 3615 ETAJV et s’en servir de fond pour le lancement du site Jeuxvideo.com.  Après des débuts difficiles,il devient dès 2000 une référence en termes de ressources pour le grand public (enfin ceux ayant internet…). Fort de ce succès, une boîte que vous connaissez bien, Gameloft, rachète en 2000 80% de l’entreprise L’Odyssée Interactive et devient donc administratrice du site. A l’époque, elle ne s’est pas encore lancée dans le développement de jeux mobiles. Il est cependant intéressant de s’intéresser à son président : Michel Guillemot, cofondateur d’ Ubisoft. On peut voir ici un flagrant conflit d’intérêt entre un propriétaire de rédaction qui développe des JV et un site qui va traiter de ces mêmes JV… C’est sans oublier également la publicité, massive sur le site qui vante les mérites de tel ou tel titre… Jeuxvideo.com sera finalement racheté en 2014 par Webedia. Pendant un temps, le site va se relancer avec ses chroniqueurs, aujourd'hui célèbres comme Usul avec son 3615, Karim Debbache avec Crossed et autres Speed Game avec Realmyope et Coeurdevandal. Cet idylle ne va pas durer et il va s’en suivre des déménagements, des vagues de licenciements, des chroniqueurs payés au lance pierre et des vagues de cyberharcèlement et de haine sur les forums (lieu de tous les extrémismes). Un papier récent d’Arrêt sur image a ainsi épinglé JVC pour sa gestion de la publicité, et il suffit de comparer les pages d’accueil d'aujourd'hui et d’il y a quelques années pour voir le tournant catastrophique pris par ce site, pourtant toujours au top dans les fréquentations. Il n’y a désormais plus aucune barrière, le site n'est plus qu'une grande page publicitaire pour des éditeurs de JV, mais pas que. Il n’est en effet pas rare de voir, en pleine home page, un “article” sur tel smartphone, ou tel top des meilleurs personnages de Dragon Ball. On note également la présence de contenus “sponsorisés”, ce qui est indiqué, mais où le nom de la société qui le vend est désigné par un pseudonyme, plus ou moins explicite… Par exemple, Bethesda, à l’occasion de la communication autour de la sortie du jeu Prey, sort l’article “Prey : on a testé pour vous le Canon GLUE ” sous le pseudonyme “Prey_FR”, dans la rubrique hardware du site, lui octroyant la note de 20/20, avec la même typographie qu’un test classique de JV sur le site. On peut cependant parfois trouver des petites perles, comme l’article débattant de la nécessité ou non de boycotter Hogwart Legacy, par Meakaya en 2023, depuis partie de la rédaction. Ils sont malheureusement bien trop rares et le site, autrefois une référence, n'est aujourd'hui plus qu'une grande page de publicité et de cyberharcèlement…



Petite aparté ensuite sur le site Jeuxvideo.fr. En effet, ce dernier, dès le départ, avait été créé en collaboration avec le magasin Dock Games qui gérait la partie financière. Ceci se poursuivra avec des magasins estampillés du nom du site dès 2008. Un choix douteux en termes d’orientation et de conflit d’intérêt… Le site est aujourd'hui fermé.


Gameblog a quant à lui été créé en 2007 par d’anciens rédacteurs de Joystick, Joypad et de Playstation magazine. Le plus connu aujourd'hui, Julien Chièze, était à l’époque ex-rédacteur de Joypad et ex-chroniqueur sur la chaîne Game One. Toutes ces personnes avaient décidé de se lancer sur internet après la crise de la presse papier et le rachat par le groupe Future plc, poussant les rédacteur.trices à exercer leur clause de conscience. Dès 2009, la société Ankama, qui développe Dofus et Wakfu, devient actionnaire minoritaire du site. Il s’agit d’une nouvelle prise dans le milieu de la presse de la part de l’industrie du JV. On peut à ce moment-là se poser la question de l’éthique de la rédaction concernant les jeux développés par cet actionnaire. La monétisation passera, comme JVC, par de la publicité, avec les mêmes dérives cités plus haut. Le site va se développer assez rapidement, devenant vite le 3ème site français sur le JV. Dans les années 2010, il est décidé de le faire entrer en bourse. Julien Chièze, Julien Hubert et Nourdine Nini vont ainsi avoir chacun 38 actions du site, quand à côté Ankama et d’autres actionnaires vont revendre les leurs à la société e-Borealis, qui a alors 70% des parts… Le site continue sa croissance, devant numéro 2 français en 2015 mais, en 2017, plusieurs rédacteur.trices, dont Julien Chièze, sont évincés. Derrière, Gameblog va dépérir et, depuis 2022, il se trouve en liquidation judiciaire…


Gamekult est le dernier site que nous allons aborder aujourd’hui. Il fut créé par  Kévin Kuipers, Clément Apap et David Choquet en 2000, avec le financement de LDLC, groupe français spécialisé dans le commerce de matériel informatique. Le site va croître, jusqu’à être dans le top 3 des sites spécialisés dans le JV en France. En 2007, 1.1 millions de personnes venaient voir le site chaque mois. Malgré cela, il basculera chez le groupe CNET Network, puis TF1 en 2015. On peut déjà observer que les investisseurs étaient plus éloignés du jeu vidéo, limitant les conflits d’intérêts (même si, dans le même temps, cela rend la communication sur le fonctionnement du site avec ses actionnaires plus compliquée). Vous l’aurez compris mais, tous ces sites, dès leurs créations, ont basé leur business plan sur le 100% gratuit et accessible à tous.tes. Mais, comme rien n’est jamais gratuit, il existait plusieurs façons d’avoir des revenus sur un site internet traitant du JV. Il y a le sponsoring, comme JVC, les bannières publicitaires (ce qui fait que, sur une même page, peuvent se côtoyer une publicité pour un jeu et la critique de ce dernier, à la manière de la presse papier), l’abonnement mécène (sans contrepartie ou presque) et enfin le paywall. Ce dernier désigne un abonnement permettant de soutenir un site, tout en ayant accès à du contenu exclusif, ce qui rend les lecteurs bien plus exigeants, obligeant le site à fournir du contenu de qualité pour ces derniers. C'est donc en 2015 que Yukishiro, rédacteur en chef de Gamekult, décide de lancer une formule d’abonnement afin de permettre au site d’ être à la fois viable économiquement, mais aussi d’être indépendant vis à vis de l’influence des éditeurs et surtout de la publicité, très en retrait depuis quelques années. Yukishiro dira : 


“Lorsqu’ on fait payer le lecteur, celui-ci place en nous sa confiance mais aussi son argent. Il est donc vital pour nous de comprendre ce que vous attendez, de savoir ce qui vous plaît ou non, les contenus que vous préférez, les choses qui vous manquent encore”.


Ce fonctionnement permettait également d’éviter les écueils d’autres sites comme JVC. En effet, Gamekult était moins dépendant du clic, du référencement Google et de l’obligation de traiter le plus vite possible des titres les plus récents et vendeurs. Cela a aussi permis de payer éthiquement ses journalistes, notamment via des CDI ou en payant les heures supplémentaires,  ce qui était très rare dans le milieu : 


“Les gens font beaucoup d’heures supp qui ne sont pas payées : elles le sont en heures de récupération, ce qui est une hérésie absolue. Tu peux atteindre parfois plusieurs jours de récup, mais ça n’arrange personne de les prendre parce que tu te retrouves en sous-effectif et ça fout tes collègues dans la merde. “


Cela va aussi financer de vrais articles de fond, n’hésitant pas à égratigner certains grands éditeurs sur leurs techniques managériales par exemple. Dans les autres rédactions, il fallait rendre les articles en temps mais aussi en heure sur les sites internet. Ceci marquait déjà à l’époque un vrai changement par rapport à la presse papier mensuelle. En effet, par le passé, être disponible le jour de la sortie du jeu était un non sens, cela devient maintenant une obligation. Il faut que le test sorte le jour J, afin de coller au maximum avec le planning des éditeurs. Voir même, la levée de l’embargo peut se faire quelques jours avant la sortie, afin de créer une publicité gratuite pour le jeu à venir. Les rédactions vont donc pousser les journalistes à rusher les jeux, quitte à ne pas forcément les finir. Est-ce une mauvaise chose ? Pas forcément, comme le montrent les 150 débats sur le sujet sur internet. Mais il est intéressant de noter que la situation n’est pas la même, selon qu’on soit indépendant des éditeurs et de leur communication, ou en lien trop fort avec eux. On doit être dans l’actualité, quitte à transformer les auteur.trices d’articles en véritable marketeux, porte voix de ces éditeurs. On sort les journalistes des rédactions, on retire les visages connus afin de limiter au maximum la personnification possible du public, facilitant la rotation du personnel. Ceci est clairement la marque de fabrique de certains groupes achetant des sites et journaux à tour de bras. De leur côté, Gamekult va être pérenne plusieurs années via cet abonnement, constituant une anomalie dans la presse spécialisée. Ca ne se fera cependant pas sans difficultés et la rédaction travaillait toujours à flux tendu… Finalement, en 2022, Reworld rachète le site et la rédaction décide d’utiliser sa clause de cession et de partir, tant qu’ils le peuvent. Depuis, le site a tenu un certains temps mais les articles se font de plus en plus rares, alors que les abonnements continuent de courir…



A noter que, de son côté, Gameblog avait aussi lancé un abonnement de ce type, où la contrepartie était des vidéos et autres podcasts, beaucoup moins en lien avec un travail journalistique de fond...



3. Le cas particulier des influenceur.euses : 

Enfin, il faut parler de ce qui a succédé à ses sites : les “influenceur.euses”. En 6 ans, leur nombre dans le JV a explosé : il est passé de 9000 à plus de 16500, soit une augmentation de 78%! Derrière ce nombre il y a surtout beaucoup d’activités différentes. On a les vidéastes retrogaming (comme JdG ou rétro découverte), les vidéastes let’s play (comme Squeezie ou Michou), les vidéastes commentant l’actualité (comme Julien Chièze ou EMB), etc… Le premier groupe est peu en lien avec l’industrie actuelle (en tout cas pour la partie Youtube). Le deuxième se veut par contre être un porte parole direct des éditeurs, recevant et jouant en live aux différents titres offerts par ces derniers. Il arrive qu’une critique soit soulevée mais cela reste rare et on peut désormais voir arriver des jeux calibrés spécialement pour ces vidéastes, favorisant le buzz rapide et permettant d’engranger à la fois de l'audience pour eux, et des achats, anticipés ou non, pour les boîtes de JV.

Le troisième groupe est celui qui va le plus nous intéresser. En effet, il s’agit pour certains d’anciens de la presse papier et des sites internet. Pour d’autres, il s’agit d’arrivistes ayant lancé leur affaire au moment opportun. Comment fonctionnent-ils? Finalement de la même façon que les sites décrits précédemment : de la publicité via les plateformes de visionnage, du sponsoring plus ou moins déclaré, des tests avec plus ou moins de conflits d’intérêts, etc… La différence réside dans le fait qu’ils sont désormais seuls, n’ayant plus aucun contre pouvoir. Avant, les réunions de rédaction permettaient d’avoir une vision globale et des débats entre ses membres, de distribuer les JV entre les journalistes selon leur genre, etc… Maintenant, ils sont seuls, ne se fie qu’à ce qui fonctionne (comme les éditeurs), relayent les leaks et autres rumeurs, testent les JV qui parlent à eux et à leur communauté, sans contradiction dans leurs arguments, et n’hésitent pas à se baigner dans les conflits d’intérêts. Nous sommes devant la continuité de tout ce qui a été décrit précédemment, mais avec une connivence bien plus grande avec les éditeurs. De plus, ils jouent beaucoup sur le phénomène d’identification. En effet, l’attachement des spectateurs aux vidéastes s’ancre d’abord dans l’image d’authenticité qu’ils renvoient. Contrairement aux journalistes de la presse spécialisée, pour qui l’expertise prime, les vidéastes apparaissent avant tout comme des personnes ordinaires, dont les opinions sont fondées sur une expérience comparable à celle de leurs spectateurs, et dont les relations avec ceux-ci se font sur le mode de la camaraderie, dont témoignent les interactions fréquentes avec la communauté. Les caractéristiques appréciées par les spectateurs sont la spontanéité, l’intégrité et l’originalité, quitte à parfois surjouer leurs réactions. Il faut qu'ils soient comme tout le monde. Nous sommes donc très loin d'un travail journalistique indépendant vis à vis des décideurs du média mais, en toute logique, il s'agit du prolongement de ce que nous avons vu depuis les débuts de la presse JV papier.

Heureusement, certaines personnes s’organisent pour créer des médias éthiques, à leur image. C’est le cas par exemple d’ Origami, de Silence On Joue, qui traitent l’actualité de manière plus objective et impartiale, se laissant le temps quand il le faut, n'hésitant pas à égratigner les éditeurs et à faire un vrai travail de fond.



Nous avons donc fait un historique (non exhaustif) de la presse, depuis les débuts en papier avec les Tilt et autres Joystick et Joypad, leur âge d’or dans les années 90, puis leur disparition. Un relais est arrivé avec les sites internet comme JVC, Gameblog ou Gamekult, atteignant leur pic dans les années 2000, avant de péricliter eux aussi et d'être remplacer par des influenceur.euses à l'éthique très variable.



    II. Mécanismes d’influence : 


  1. Qui sont ces journalistes :


On peut maintenant se demander : qui compose toutes ces rédactions? Naïvement, je pensais que ces personnes avaient toutes fait des études de journalisme. Nous sommes finalement très loin de cela puisque ça n’est le cas que d’une poignée d'entre elles. Les Julien Chièze, Julien Tellouck et autres “stars” du média n’ont jamais eu de formation au journalisme. Mais cela n’est pas un problème en soi. En effet, d’autres personnes, comme la majorité de l’équipe d’ Origami, n’ont pas non plus eu un parcours classique de journaliste. Ceci montre qu’avoir une éthique n’est pas forcément obtenue par le biais des études.

Cette éthique est notamment encadrée par la charte de Munich. Cette dernière a été créée par Paul Darisot, président du syndicat du journalisme Français, en 1971. Elle rappelle les droits mais aussi les devoirs qui incombent à cette profession. On peut commenter certains articles marquants : 

  • “Publier seulement les informations dont l’origine est connue ou les accompagner, si c’est nécessaire, des réserves qui s’imposent ; ne pas supprimer les informations essentielles et ne pas altérer les textes et les documents.”. Nous avons vu, ne serait-ce qu’avec la future console de Nintendo, que beaucoup de personnes et autres rédactions n’ont pas respecté celui-ci, ainsi que le suivant : “Rectifier toute information publiée qui se révèle inexacte.”. 

  • “Ne jamais confondre le métier de journaliste avec celui du publicitaire ou du propagandiste ; n’accepter aucune consigne, directe ou indirecte, des annonceurs.”. Pour cet article, je pense que tout ce dont j’ai parlé plus haut montre à quel point on en est très loin.



  1. Liens et conflits d’intérêts


Il est maintenant temps de s’intéresser au nœud du problème: la notion de liens et de conflits d’intérêt. Il est important de bien différencier ces deux éléments. En effet, la notion de lien d'intérêt recouvre les intérêts ou les activités de l’expert, passés ou présents, d’ordre patrimonial, professionnel ou familial, qui sont en relation avec l’objet de l’expertise qui lui est confiée. Un conflit d'intérêt naît d’une situation dans laquelle les liens d’intérêts d’un expert sont susceptibles, par leur nature ou leur intensité, de mettre en cause son impartialité ou son indépendance dans l’exercice de sa mission d’expertise. Une personne peut donc avoir un lien d’intérêt, sans pour autant relever du conflit d’intérêt. Nous avons en effet tous.tes des liens d’intérêts, c’est-à-dire des relations de proximités issues de notre cadre professionnelle, personnel, etc… Mais ces derniers ne deviennent pas forcément des conflits d’intérêt! Par exemple, une émission sur le JV financée par une maison d’édition de livres sur les JV qui ne demande aucune contrepartie, ça peut s’apparenter à un lien d’intérêt. Par contre, si la maison d’édition demande à ce que tel jeu soit traité à tel moment, car elle va sortir un livre sur le sujet, cela relève du conflit d’intérêt, encore plus si on demande expressément à en faire la promotion de façon positive.

Nous avons eu un exemple récemment durant un passage de l’émission Sumimasen Turbo. Il était prévu de discuter du dernier jeu Goldorak et d’en faire la critique. Greg a alors déclaré son conflit d’intérêt, ayant participé à l’élaboration du jeu en tant que consultant, et a donc quitté le plateau le temps de la discussion sur ce sujet.

A contrario de cet événement, on trouve le "Doritos-gate". Sortie par le site Eurogamer, la vidéo montrait le journaliste Geoff Keighley critiquant le jeu Halo 4, tout en étant assis à côté d’une poche de chips Doritos et de bouteille de soda Mountain Dew. Dans le même article, on découvre l’existence d’un prix, les Game Media Awards, qui récompense les “meilleurs journalistes”. Durant ce dernier, déjà éthiquement discutable, un concours permettait de gagner une Playstation 3. La journaliste du Sun, Laurence Wainwright partage cette information sur son compte Twitter. Pour cette dernière, il n’y a aucun mélange de genre ni conflit d’intérêt. On apprendra par la suite qu’elle a travaillé par le passé pour Square Enix, éditeur du jeu et de la licence depuis plusieurs années alors qu’elle a largement couvert et critiqué les jeux de la licence, directement ou non. Il y a ici aussi un flagrant conflit d'intérêt. En France, c’est le jeu Call of Duty Black Ops 2 qui va faire écho à cette affaire. Le rédacteur du test chez Eurogamer (encore eux), Julien Chevron, a travaillé jusqu’à 1 an avant le test chez Activision, éditeur de la saga. Le rédacteur en chef ne retire cependant pas le papier, estimant que : 


“Comme il ne travaille plus pour cet éditeur depuis 1 an, nous avons estimé qu'il n'y avait pas ou plus de conflit d'intérêt et qu'au contraire, sa connaissance du jeu lui permettrait d'en faire une meilleure évaluation”.


Les médias français du milieu vont réagir pour la plupart, rappelant l’absence surtout de contre pouvoir du côté des joueur.euses, valorisant par leurs clics ces pratiques en achetant ces jeux, ce que répète le rédacteur en chef de l’époque chez Gamekult : 


“Ça m’énerve de devoir être dans ce système, mais c’est ce que semble vouloir le public” 


Enfin, on peut citer l’exemple de Julien Chièze, invité sur France Inter pour parler de Deus Ex Human Revolution, alors qu’il était payé par l’éditeur du jeu dans le même temps. Aucune déclaration n’a cependant été faite en début d’émission pour déclarer les conflits d’intérêt possible…



3. Biais en tout genre


Pour autant, les journalistes peuvent ne pas se rendre compte de cette problématique, et ça a très bien été expliqué par Emily Pronin, Daniel  Lin et Lee Ross, psychologues sociaux américains, avec le blind spot biais (ou le biais tâche aveugle en bon français). Ce biais, aussi parfois appelé l'illusion de l’invulnérabilité, se caractérise par la capacité d’une personne à détecter les préjugés et conflits chez les autres, sans être capable de les mettre en évidence pour elle-même. Dans leur étude, les psychologues ont évalué que, sur un panel de 600 personnes, 85% pensaient être moins biaisés que l’américain moyen… Ils ont ainsi montré qu’il était indispensable d’avoir conscience de ses préjugés lorsque l’on affirmait quelque chose et qu’il fallait donc avoir une bonne capacité d’introspection. A ce biais peut s’ajouter celui de la norme de réciprocité. C’est la tendance, en tant qu’humain, à aider quelqu’un qui nous a rendu un service ou qui nous a fait un cadeau. Dans le JV, on peut légitimement se questionner sur la capacité d’un journaliste à pouvoir garder son indépendance quand un éditeur lui a offert un cadeau, comme un voyage tout frais payé. On comprend donc facilement que ces éléments peuvent s’imbriquer très facilement les uns avec les autres et être le socle de conflits d’intérêt majeurs.

Ceci s’illustre très bien avec la table ronde “Jeux vidéos : journalistes vendus” d’Arrêt sur image en 2012. Plusieurs personnes étaient invitées à débattre sur le sujet. Parmi elles, on retrouvait : Gaël Fouquet, rédacteur en chef de Gamekult, Julien Chièze, cofondateur de Gameblog, Usul, chroniqueur sur jeuxvideo.com (mais comment il s’est retrouvé là…) et Ivan Gaudé, directeur de publication chez Canard PC. Le présentateur demande à chaque personne aux participants de s'auto noter sur leur indépendance. Les notes vont de 3,5 et 4 pour Gamekult et jeuxvideo.com, là où Gameblog déclare “qu’aucune pression des éditeurs n’est prise en compte". Il se donne donc 5/5, tout en critiquant les conflits d’intérêt de ses confrères et admettant de son côté leur présence, sous le regard amusé des collègues sur le plateau. Usul rappelle dans la foulée que son rédacteur en chef, dans une interview, déclarait qu’il n’y avait pas d'indépendance sur JVC. Cette vidéo, je vous invite fortement à la voir, illustre brillamment ce biais, même si elle est très difficile à regarder aujourd’hui tout en gardant son calme…

Le milieu de l’e-sport n’est également pas épargné, comme l’expliquait un journaliste spécialisé : 


“Il y a un flou autour de ce que signifie être journaliste dans l’esport. Il y a des gens qui n’ont pas de formation, qui ne respectent pas une déontologie, ne recoupent pas leurs sources, acceptent des cadeaux dès qu’ils le peuvent. [...] Aujourd’hui, tu peux te présenter comme journaliste et faire du sponsoring pour Samsung. Les marques vont aligner les budgets à des gens qui ont acquis une grosse notoriété et glissent vers l’influence.”


Enfin, il existe un dernier biais : celui de financement. En science, il s’agit d’une étude financée par une industrie, où les investigateur.trices sont financé·es par une industrie. Par conséquent, cette dernière a plus de chance d’avoir des résultats favorables à l’industrie concernée, toutes choses égales par ailleurs. Dans le JV, on comprend aisément la perte d’objectivité et la tendance à surexposer un jeu lorsque l’éditeur a financé notre revue ou notre site.

Je conclurai cette partie en citant un mémoire sur la différence de traitement médiatique entre la presse généraliste et la presse JV concernant la pratique du crunch dans le JV. L’auteur y montre que, de part son caractère spécialisée, la presse vidéoludique traite bien mieux cette pratique toxique, avec un travail de fond bien plus important et peut donc avoir un réel impact sur les conditions de travail dans l'industrie. Dans le même temps, le milieu de cette presse en ligne est très concurrentiel, avec une offre assez uniforme. Comme le décrit Bourdieu, la concurrence favorise l'uniformité de l’offre, de part la reprise d’informations, par le choix de sources et par des angles similaires. Ainsi, en 2010 et entre 2018 et 2020, les journalistes JV avaient tendance à tous citer les mêmes sources. Mais il arrive parfois qu’un site sorte du lot, de part son travail éditoriale et la profondeur de traitement de ses sujets. C’est le cas par exemple de Kotaku, ou de Gamekult chez nous. Ces sites ont ainsi permis de donner leurs lettres de noblesse au journalisme du JV, pourtant longtemps méprisé par leurs pairs généralistes. Malheureusement, ces articles se font de plus en plus rares et ont aujourd'hui quasiment disparu.



   4. Les dons aux journalistes


On peut maintenant se demander comment se créent ces conflits d’intérêt dans le temps?

Pour commencer, intéressons-nous aux cadeaux. Le CDJM (Conseil de Déontologie Journalistique et de Médiation) rappelle que : 


“Les journalistes doivent refuser tout cadeau d’une valeur autre que symbolique. La valeur maximum acceptable doit être définie par la rédaction.”. 


Il nuance cependant en déclarant que des objets « journalistiquement utiles », qui sont davantage des outils de travail que des cadeaux, peuvent être tolérés dans ce contexte. C’est leur devenir après l’éventuel traitement éditorial qui pose question. Ainsi, ces cadeaux, même de la plus petite des valeurs, peuvent avoir un grand impact sur la neutralité des personnes. Cela se rapproche du biais de réciprocité développé précédemment et ça a été très bien démontré par les études scientifiques. Dans le milieu médical par exemple, un simple stylo au nom d'un laboratoire va entraîner un biais dans la prescription du médecin concerné. De même, les études financées par l’industrie pharmaceutique communiquent 4 fois plus souvent sur leur efficacité que celles financées par d’autres industries. On va partir sur quelques exemples dans le JV: 


  • Le don de clé d’installation pour un jeu, ou l’envoi d’une version physique. D’ un côté, on peut se demander si cela n’est pas à risque d’être à l’origine d’un conflit d’intérêt. Mais, en même temps, si on se rapporte à la définition ci-dessus, et dans un contexte où le marché est tel qu’il faut traiter en premier et dès que possible d’un jeu, cela peut s’entendre. Une solution, adoptée par Origami, est de ne pas hésiter à prendre le temps, et se donner une ou deux semaines supplémentaires avant de critiquer un jeu, après sa sortie ou bien, comme Sumimasen Turbo, de rester sur un format mensuel.

  • Les kits de presses. C’est quelque chose qui est envoyé aux journalistes, rédactions et influenceur.euses, en plus du jeu vidéo, afin de donner des informations complémentaires sur le produit. Cela existe par exemple dans le cinéma où on peut y trouver des documents relatant les spécificités sur le film, les acteurs etc… Dans le JV, malheureusement, ce kit a tendance à être plus que ça. Il n’est en effet pas rare d’y trouver, en plus du document d’information, des goodies, allant de l’artbook, au porte clé voir à la figurine. Ceci va engendrer inévitablement une perte d’objectivité et un conflit d’intérêt. Les collectors en cadeau sont également sources de conflits d'intérêt. Nous avons eu récemment l’exemple du kit pour Top Spin 2K25, avec des cadeaux de plusieurs centaines d’euros, très loin des objets indispensables à un journaliste du JV.

  • Les voyages de presse. Les studios et éditeurs vont ainsi inviter les journalistes, rédactions ou influenceur.euses à venir tester le jeu, généralement avant sa sortie et la fin de son développement, afin d’en réaliser une preview. Derrière, le document permettra de donner au public des informations sur le produit à venir. Cela peut se traduire par une simple invitation à se déplacer jusqu’au studio, aux frais du journaliste. Dans ce cas là, il n’y a aucun conflit d’intérêt, au pire un simple lien. Il est dommage d’en arriver là et d’être autant à la solde des éditeurs, mais c’est aujourd’hui indispensable pour le métier de journaliste... A contrario, cela peut devenir plus problématique, avec des voyages payés par le studio, logements et repas compris, et pouvant aller jusqu’à des voyages en hélicoptère “afin de mieux cerner le travail de reproduction de Manhattan fait par un studio”. Dans ce cas là, nous sommes devant un risque manifeste de conflit d’intérêt.


Ces dons sont donc une zone grise, allant de l'objet nécessaire et presque indispensable au travail des rédactions, jusqu'à des cadeaux pouvant engendrer de graves conflits d'intérêt.



5. Communication et influence


On peut ensuite se poser la question sur l’influence de cette communication chez les jeunes. Selon une étude IPSOS fin 2022, plus de 90% des 16-30 ans s’informent via les réseaux sociaux ou par des médias en ligne. Les personnes qu’ils vont écouter prennent ainsi le rôle de “leaders d’opinion”. Ces derniers, aussi parfois appelés influenceurs, sont employés par des éditeurs pour communiquer sur des produits, moyennant finance. Cependant, ils sont parfois considérés, à tort, comme des experts par ces agences. En général, il s’agit de quelqu’un présentant bien, n’appartenant pas à une minorité par exemple et ne faisant pas de vagues. Si on fait le parallèle avec le jeu vidéo, on a l’embarras du choix sur Youtube! En effet, nombres de personnes se sont auto déclarés expert d’une licence ou d’une marque, de part leur expérience en tant qu’utilisateurs ou leur proximité avec cette dite marque. Il est aussi possible que ce soit le public lui-même qui a placardé cette affiche d’expert sur cette personne, de part son travail et sa “ligne éditoriale”. Par exemple, on peut se demander la pertinence d’une personne parlant de Zelda, sachant qu’elle a fait sa popularité en ayant proposé moultes vidéos de let’s play, de réactions ou autre sur la licence auparavant. Quelle va être sa plus value ? Par forcément supérieure par rapport à quelqu’un qui a travaillé le sujet en profondeur pour écrire un livre, ou qui a interrogé plusieurs développeurs. Mais qui doit-on croire alors? Personne ? Pas forcément. On doit surtout s’intéresser aux liens de la personne avec son propos. Quelles sont ses sources? Quel a été son travail? Que propose t-elle sur le sujet? Ça ne veut également pas dire qu’il ne faut écouter que les Florent Gorges et compagnie. Il faut surtout se questionner sur la personne, et sur ce qu’elle dit. Il faut également croiser les sources, afin de ne pas s’arrêter sur les dires d’une seule personne. Ça évite les “leaks de switch 2” par exemple…



3. Conclusion:


En conclusion, le milieu de la presse JV a lentement évolué. Il a commencé timidement dans des revues papiers, financées principalement par la publicité mais qui, de par son succès, s'est perdue et a subit l'influence des éditeurs et des constructeurs, l'amenant à sa perte. Un relais est apparu sur internet, d'abord par des sites spécialisés, présentant des biais et conflits d'intérêt de plus en plus grand, pour prendre aujourd'hui la forme d'influenceur.euses, seuls devant leur communauté. Toutes ces personnes étaient et sont encore des passionnées, souhaitent parler de ce qui leur plaît. Cependant ceci est un vrai travail, qui demande une rigueur afin de se détacher des biais divers et des conflits d’intérêt auxquels ils peuvent être exposer. A nous de savoir nous renseigner sur ce que nous lisons et ce que nous regardons et toujours garder notre esprit critique !



4. Sources :



S. Coavous, N. Roques. Dossier : Les mondes de production du jeu vidéo,une profession de l’authenticité et le régime de proximité des intermédiaires du jeu vidéo sur Twitch et YouTube. 2020. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-reseaux-2020-6-page-169.htm


B. Dozo, B. krywicki. Chapitre 13. La presse vidéoludique : comment faire tourner la machine. 2018. Disponible sur : https://www.cairn.info/manuel-d-analyse-de-la-presse-magazine--9782200619930-page-213.htm


W. Andureau. De « Tilt » à « Canard PC », l’histoire mouvementée de la presse jeu vidéo française. 2016. Disponible sur : https://www.lemonde.fr/pixels/article/2016/04/10/de-tilt-a-canard-pc-l-histoire-mouvementee-de-la-presse-jeu-video-francaise_4899531_4408996.html


Wikipedia. Media vidéoludique. Disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/M%C3%A9dia_vid%C3%A9oludique


T. Rubio. La presse du jeu vidéo est à bout de souffle. 2022. Disponible sur : https://esport-insights.com/la-presse-du-jeu-video-a-bout-de-souffle/


J. Brabant. Reworld, ou le cauchemar de l'avenir du journalisme. 2019. Disponible sur :


Les echos. Magazines de jeu vidéo, épisode 1 : une presse en résistance. 2020. Disponible sur : https://www.lesechos.fr/tech-medias/hightech/magazines-de-jeu-video-episode-1-une-presse-en-resistance-1259941


B. Krywicki. Angles journalistiques originaux au sein des tests vidéoludiques : la pluralité discursive comme résistance des journalistes spécialisés. 2022. Disponible sur :


Academy 4 Social. Bias Blind Spot : Oops Didn’t See That. 2020. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=Fp2_QM0oa50.


Wikipedia. "Tâche aveugle à l'égard des préjugés.". Disponible sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Tache_aveugle_%C3%A0_l%27%C3%A9gard_des_pr%C3%A9jug%C3%A9s.


Stratégies. L’explosion des influenceurs gaming : +78% en 6 ans . 2023. Disponible sur : https://www.strategies.fr/actualites/culture-tech/LQ2536491C/lexplosion-des-influenceurs-gaming-78-en-6-ans.html


L. Maxim, G. Arnold. Comment les conflits d'intérêts peuvent influencer la recherche et l'expertise. 2012. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-2012-3-page-48.htm


CDJM. Cadeaux et invitations : les bonnes pratiques. 2023. Disponible sur : https://cdjm.org/cadeaux-et-invitations-les-bonnes-pratiques/


IPSOS. Un jeune sur deux déclare ne s'intéresser qu'un peu à l'actualité. 2022. Disponible sur : https://www.ipsos.com/fr-fr/un-jeune-sur-deux-declare-ne-sinteresser-quun-peu-lactualite


Cortecs. Envoyé spécial : conflits d'intérêts. 2013. Disponible sur : https://cortecs.org/wp-content/uploads/2017/02/CorteX_envoye-special_2013_naudin_conflits-interets.mp4?_=3


N. Darbois. L'illusion de l'unique invulnérabilité. 2017. Disponible sur : https://cortecs.org/superieur/lillusion-de-lunique-invulnerabilite/


N. Darbois. Le biais de financement. 2017. Disponible sur : https://cortecs.org/superieur/le-biais-de-financement/


Legifrance. Code du travail, article L7111-6. 2008. Disponible sur : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000006904514


C. Manguette. Traitements médiatiques des conflits sociaux liés à la pratique du « crunch » dans l'industrie du jeu vidéo américaine : comparaison entre sites de presse généralistes et vidéoludiques américains, sur base de trois études de cas entre 2004 et 2020. 2020. Disponible sur : https://matheo.uliege.be/bitstream/2268.2/11082/5/TFE%20MANGUETTE%20Cl%c3%a9ment.pdf


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